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Le racisme, l’antisémitisme, ça parle à tout le monde, n’est-ce pas ?


Depuis peu de temps, je fais partie d’un collectif. Coexist (à ne pas confondre avec Coexister, vous pouvez toujours confondre, mais ça ne vous avancera à rien) lutte contre le racisme et l’antisémitisme à l’école, notamment. Belle idée. Noble même. Idéaliste, aussi.

C’était un jour d’hiver, et j’ai eu envie. Envie de matérialiser ma pensée. De lui donner une consistance. Et d’arrêter de dire : il faudrait faire ça parce que là, ça ne va pas. Faire petits pas par petits pas.

Je me suis donc inscrite à une formation pour intervenir auprès de collégiens. Aller à la rencontre de ces gens dont on parle tant. De cette école qui s’effrite. De ces élèves dont le niveau semble s’effondrer. De notre avenir. De ces nouvelles générations.

Je parle comme si ma jeunesse était révolue. En un sens, elle l’est. Revenons à l’essentiel.

La formation Coexist n’a rien à voir avec le système scolaire. Heureusement. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Ici, on dit tout. Tout ce que l’on pense. Tout ce qui effleure notre esprit. Tout ce que l’on voudrait lâcher.

Adieu le manichéisme. Et bienvenue dans la confusion. Dans un monde de perceptions. On s’exprime sans se protéger. Sans une sanction au-dessus de la tête. Sans avoir peur de la connerie. Parce qu’elle rôde évidemment.

La formation se répète. Une première fois et une deuxième. On commence le samedi à 19h et termine le dimanche à 18h. La nuit est courte et dure en moyenne 6 heures. Devrais-je vous dévoiler ce qui s’y passe ? Je ne préfère pas.

Une trentaine de personnes se prêtent au jeu. Ensemble et en même temps, on tente de se débarrasser de quelque chose qui colle à la peau. Quelque chose qui gratte. Qui démange, même.

Délicatement, on prend conscience qu’associer une idée à une autre aide à penser. Qu’il est difficile de penser autrement. Que l’on abuse des préjugés. Que l’on ne fait même pas exprès. Et que l’on n’est pas si tolérant que ça.

Même dans l’ouverture d’esprit, on est faillible.

On voudrait aimer l’autre, sans conditions. On n’y arrive pas. Malgré une sacrée bonne volonté, on se cogne à quelque chose. On ne saisit pas quoi, exactement. Le mal est fait.

Bousculés, nous le sommes. On vit tous une sorte d’expérience, une sorte de transformation. Une thérapie collective qui n’en est pas une.

On ressort essoré. Déstabilisé. Effrayé parce que l’on ne sait plus. Où se positionner ?

Suis-je dans les pas de mes parents ? Ou suis-je en train de piétiner mon éducation, mon enfance, mes valeurs ? Est-ce grave ? Ai-je des certitudes ? Est-ce grave ?

Je crois que je sais. Non, je me trompe. Je débroussaille le chaos. J’explore. D’un geste brutal, je balaie mes idées. Je voudrais les abandonner. Les quitter à jamais. Puis, je me rapproche de mes origines. Je m’en éloigne. Et plouf. Je pars à la dérive. Qui suis-je sans la socialisation ?

Puis, on arrive à la fin. Terminée, la formation. Temps épuisé. On ne se sent pas prêt. Je ne suis pas du tout prête à regarder une classe et à déconstruire ce qu’elle a décidé de croire. Qui l’est ?

On ne l’est pas. Pourtant, c’est fini. On va sur le terrain.

Un mois plus tard, le jour se lève. Mes paupières se collent, mes cernes gonflent.

L’école se situe en banlieue parisienne, dans le 94, à Villiers-sur-Marne. J’emprunte le RER A, les siège sont défoncés. Et ma gueule du matin n’égaye pas le paysage.

Je ne suis pas seule dans la rame. Assise à côté de moi, Mathilde. Elle représente SOS Racisme et moi, l'Union des Etudiants Juifs de France (UEJF).

On intervient en binôme. Une personne expérimentée et une autre un peu perdue s’unissent. Je suis celle qui débute, qui improvise, qui rame un peu. Je répète maladroitement une gestuelle, une attitude. Je suis cool. Pas totalement non plus. Et un peu indignée, quand j’entends des horreurs.

On arrive dans l’école. On se présente. On échange des sourires polis. Des vérités générales. Des sous-entendus peut-être. On avance vers la salle. Celle qui nous accueillera. Notre foyer, le temps d’une matinée.

La sonnerie pousse son cri. Surprenante mélodie.

En un clin d’œil, la salle se remplit. Mathilde me regarde. Je l’imite. Ils arrivent.

J’entonne des bonjours. J’en reçois. C’est agréable, la réciprocité. J’ai presque envie de me reconvertir. Et si je devenais professeure de français ? Là, n’est pas la question.

Les collégiens forment un demi-cercle. D’un côté, les garçons. De l’autre, les filles. L’heure n’est pas à la mixité. Il est encore tôt.

En trois minutes, on se présente. T’es qui toi ? Telle est la question qu’ils ne poseront pas. Sont-ils subjugués ? Ils gardent le silence et les yeux écarquillés. Pas de clignement. Ils sont intéressés par ce que l’on raconte. Le racisme, l’antisémitisme, ça parle à tout le monde, n’est-ce pas ?

Nos voix s’installent facilement. Elles ne résonnent pas non plus. Elles se mêlent, sans faire de nœuds. Jusqu’ici, tout roule.

L’animation commence : on distribue une feuille à chacun. Sur la feuille, sont écrits une dizaine de mots. Dont « Français », « Jeunes de banlieue », « Juif », « Noir » ou « Femme ». On leur donne une consigne qui n’en est pas une : « écrivez ce que vous associez instinctivement à ces termes, ne définissez pas. Remplissez sans consulter le voisin. C’est plus drôle ainsi ». Drôle, j’aurais pu choisir un autre adjectif. Mais non.

Les crayons courent sur les feuilles. D’un bout à l’autre de la pièce, ça chuchote. Certains peu discrets, parlent à voix haute. Un garçon relit les notes de l’autre, il ne recopie pas. Juge peut-être. Un groupe de filles discutent de ce qui pourrait être la meilleure réponse. Les idées s’interposent. Qui aura le dernier mot ?

Peu réfléchissent individuellement. Comme si la majorité refusait la consigne. Comme si l’un cherchait l’approbation du voisin. Comme si s’exprimer était un risque. La feuille noircie est donc le fruit d’un travail plus collectif que personnel.

En se faufilant entre les rangées de chaises, on laisse échapper des commentaires : « lâche toi, ne te censure pas, écris vraiment ce qui te passe par la tête, ne réfléchis pas ».

Les feuilles se peuplent de tâches d’encres, de mots que l’on a tenté d’oublier, que l’on a raturés parce qu’on a eu peur, que l’on a finalement écrits, parce qu’on assume. Peu importe, on ne ramasse pas les bouts de papier.

On assemble les élèves en plusieurs groupes. Et on explique : « vous allez chacun justifier les mots qui figurent sur vos feuilles. Si vous considérez que le mot utilisé par l’un de vous, choque ou mérite discussion : débattez ».

Le brouhaha s’entend. C’est bon signe.

Quand les stéréotypes se déchaînent, il ne sont guère originaux. D’un groupe à l’autre, les mêmes expressions reviennent. Encore et encore.

Le mot « Français » rime presque toujours avec babtou ou blanc. Pourquoi ? C’est en s’approchant des élèves que l’on comprend. D’après eux, un vrai français, un français de souche, est forcément blanc. Il n’a pas d’autre couleur. Mais, qui sont les Français d’origine ? Existent-ils ?

On en doute.

Les adolescents n’osent pas. Ils n’osent pas se déclarer Français. Pourtant, c’est bien connu, il n’y a pas plusieurs niveaux de Français. Peu importe le moment d'arrivée, on est Français.

On est à égalité. Tous.

C’est ce que l’on veut bien croire.

Si l’on poursuit, la « femme » est liée aux mots « mère » ou « ménage ». Surprenant ?

Un des adolescents a écrit « 80% des femmes sont des putes ». D’où tient-il ces statistiques ? Lui-même, ne le sait pas. Il rétorque : « ce sont les femmes que j’ai rencontrées. Que je connais ». Je ne suis pas convaincue par la démonstration.

Mais, d’autres mots se placent à côté de « femme » : « féminisme », « inégalités salariales » et « discrimination ». Ce sont surtout les filles, qui les évoquent. Peu importe, un vent de liberté ou d’émancipation souffle. On est sauvées.

Qui est « riche », « radin » ou « victime d’un génocide » ?

Réponse : le « juif ». Ce sont les mots qui reviennent le plus chez les collégiens. Mais ce ne sont pas les seuls. « Chien » aussi a été mentionné par un adolescent. Je pose la question : « As-tu déjà rencontré un juif dans ta vie ? »

Sans attendre, il lâche : « oui, c’était un chien ».

Il poursuit : « un jour, j’ai rencontré un juif sur le quai d’un métro. Je n’avais plus de batterie, j’avais besoin d’appeler quelqu’un, alors je lui ai demandé s’il pouvait me prêter son portable. Il a refusé, le chien. »

C’est tout.

J’enchaîne : « je suis juive, j’ai l’air d’une chienne ? ».

« Non, pardon Madame. Je ne voulais pas dire ça » s’excuse-t-il confus.

Silence gêné.

Je reprends la parole : et un « jeune de banlieue » c’est quoi ?

Si l’on se fie aux mots écrits par les collégiens, ils n’ont pas fière allure. Ce sont des trafiquants de drogue, des mecs qui traînent en survêtement toute la journée, des types qui possèdent des armes.

Auraient-ils oublié l’essentiel ?

Ces élèves sont jeunes. Et tous habitent en banlieue. On en déduit donc, que tous sont des jeunes de banlieue et aucun ne correspond au stéréotype.

On rappelle aussi qu’un jeune de banlieue, c’est aussi un jeune qui habite à Neuilly. Chose qui ne traverse même pas l’esprit.

Quant au mot immigré, celui-ci porte aussi à confusion. Selon les élèves de cette classe, un immigré fuit toujours son pays d’origine, dans la douleur. Il s’échappe illégalement et arrive illégalement par la mer. Les collégiens se rappellent des images qui passent et repassent sur les écrans de télévision. Les images véhiculées par les médias. Souvenez-vous de Aylan, l’enfant échoué sur une plage de Turquie.

On voudrait passer des heures sur chaque mot. Pour comprendre pourquoi on pense ce que l’on pense. Revenir sur l’étymologie, sur les racines du préjugé. Et raconter comment l’histoire a posé les briques du racisme ou de l’antisémitisme.

Pourquoi « l’arabe » est qualifié de « voleur » ? Pourquoi le « noir » mangerait-il plus de poulet frit que le « blanc » ? Pourquoi confondre « musulman » et « terroriste » ?

Pourquoi ces conneries traversent-elles les années, les époques même ? Pourquoi perpétuer la connerie de génération en génération, comme s’il s’agissait d’une tradition familiale ?

Le racisme et l'antisémitisme sont-ils des bijoux de famille ?

Je ne sais pas. Jusqu’ici, les réponses manquent.

Ne faîtes pas cette tête.

NB : J'ai un peu raconté ma vie. Vous étiez libre d’interrompre la lecture. Merci d'être allé au bout. Je m'en souviendrai.

Crédit photo : le maître d'école - le film

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