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L'été, on lit 5/5 FIN - THE END - NADA


Dix ans déjà, qu’elle a crié comme jamais. Comme dans Psychose, le film. Sauf que ma mère n’était pas dans la salle de bain, mais la cuisine.

Ma mère ne crie jamais. C’est un principe qui se fonde sur le refus du drame. Quand elle percevait une voix qui s’élevait, elle déclarait solennellement : « On fait déjà assez de bruit, comme ça. Pas besoin d’en rajouter. Laissons le boucan au boucan. »

Pourtant, ce 28 mai. Un onde de choc s’était échappée. Ce son ne m’a pas heurté, car on ne m’avait jamais esquinté les tympans, ça ne faisait pas partie de mon éducation. J’ai fini par comprendre que le bruit venait de sa gorge. Il était infini, ce qui le rendait d’autant plus pénible.

Je n’ai pas saisi le tragique de la situation. Je n’étais tout simplement pas habituée. Je suis descendue du hamac, j’ai enfilé mes chaussons, retiré mes lunettes de soleil, puis j’ai marché en direction du son. Je suis arrivée dans la cuisine, qui était tout aussi dérangée que lorsque je l’avais laissé.

Cette fois-ci, c’était sinistre. Ma mère était à terre, le corps recroquevillé, elle articulait une sorte de babillement. Elle était pas belle à voir. On aurait dit une sorte de serpillère à pétale de fleurs.

Elle n’essayait même pas de se reprendre. Quand elle a aperçu ma silhouette, elle a brandi un papier jaune comme un drapeau qu’on soulève pour se rendre. Elle était abattue, prête à signer l’armistice quoi qu’il en coûte.

J’ai saisi le papier brutalement. Je m’apprêtais à la détester, car il était la cause du désespoir.

J’ai tout lu. Je l’ai lu plus d’une dizaine de fois.

Je ne savais pas quoi dire. Alors, je n’ai rien dit.

Je n’ai pas interrompu ma mère dans son chagrin. Je l’ai regardé des heures entières. Puis, j’ai passé des jours entiers à récolter les gouttes qui s’étalaient sur le carrelage. Je ne voulais pas qu’on glisse.

La vie n’a jamais repris. Ma mère n’a plus jamais porté de robes à fleurs.

Il y a quelques jours. J’ai reçu une lettre sur papier jaune. Je l’ai reconnu. Le jaune. Ce jaune. C’était lui. Il me donnait rendez-vous, le premier jour de juin. Il porterait un chapeau de paille, impossible de le manquer.

Le soleil tapait.

Il était là. Un paquet de paille trônait sur son crâne.

Il y a dix ans, il portait déjà ce même chapeau. A l’époque, il avait plus d’allure si ma mémoire est bonne.

*

FIN

Crédit photo : Psychose - le film

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