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L'été, on lit 4/5

Nous étions bien trop enthousiastes à l’idée de cuisiner LE gâteau. Depuis la vue de ce gâteau, à la page 73 du magazine Elle, nous étions prêtes à sacrifier père et mère pour le faire fondre sous nos dents. Il avait occupé nos discussions du matin au soir. Trois jours qu’il nous obsédait. Était-il inatteignable ?

J’avais peur que le nôtre soit un fiasco. La maladresse habitait chacun de nos mouvements, la coquille des œufs se brisait en mille morceaux, il fallait donc aller à la chasse aux fragments. Le mélange de tous les ingrédients, donnait lieu à des grumeaux qui flottaient à la surface du liquide à couleur douteuse. Le chocolat coulait, mais n’était pas absorbé. Il y avait comme une dichotomie entre la pâte et le noir du chocolat. Rien ne pouvait ombrager le regard de ma mère, à part un éclair.

Cru, il n’avait pas l’air appétissant. Je priais pour qu’une fois cuit, il ressemble comme deux gouttes d’eau à celui du journal.

Papa n’était pas là. Il n’assistait pas à cette scène de guerre à base de farine comme poudre à canon. Nous étions blanches, comme à l’époque de Louis XIV, avec une mouche autrement dit du chocolat séché, que l’on a disposé à deux pas de la lèvre supérieure. « La classe », voilà ce qu’il aurait pu penser, s’il avait fait irruption en zone sinistrée.

Le gâteau chauffait. Je l’observais gonfler à travers les parois vitrées. J’avais l’impression qu’il respirait, je lui susurrais des mots doux : «inspire, expire ». C’était comme une prière.

Les adultes n’étaient plus à portée de main. J’avais dix ans, et la seule chose qui retenait mon souffle c’était une pâtisserie destinée à faire saliver. Quel étrange destin.

Maman décorait la terrasse, on y voyait des guirlandes en papier crépon, des perles du Brésil se balader sur la table, des confettis asperger le sol et des pots de fleurs peu importe l’angle de vue. Je n’avais pas beaucoup de discernement, je trouvais ça ravissant. Il faisait beau, c’était la fête à la maison.

Papa, n’avait pas quitté son piano. Il avait l’air à la recherche d’un son, qu’il ne parvenait pas à saisir. De nature perfectionniste, il ne s’arrêtait pas en cours de route. Il persévérait dans une mélodie foireuse. Il n’était pas musicien, ce n’était pas son métier, ni sa passion. Juste une obsession qui avait le don de le contrarier.

On avait sorti le gâteau du four, il n’était pas beau à voir. Pour l’arranger, on allait le maquiller. "C’est bien ce qu’on fait avec les nanas, quand elles ne sont pas nées avec la beauté imprimée sur la face. » Maman avait toujours les mots pour rassurer.

Elle a plongé sa main dans le fin fond du tiroir, et a sorti la poudre magique. Du cacao, qu’on allait secouer avec peu de volupté, pour rattraper le chef d’œuvre. Il fallait garder la face. On avait laissé le gâteau se reposer, pour qu’il ait l’air plus frais. Il avait les traits tirés. Il était posé dans la cuisine sur le plan de travail.

Nous, on s’était accordé une pause avant le goûter. On se dégourdissait les mollets sur la terrasse. Le soleil était généreux en rayons. Maman, avait entonné l’air de Patrick : « J’ai attrapé un coup de soleil, un coup d’amour, un coup de je t’aime ». Elle chantait faux, mais elle ne s’attardait pas sur les détails. Comme elle est mère, elle a dit : « attends, mon poussin, je m’en vais récupérer notre jeunesse : la crème solaire ».

C’est une femme distraite, alors avant de se tartiner le corps, elle voulait s’assurer que le gâteau se portait bien. Elle n’a pas vu Papa dans le salon, elle ne s’en souciait pas. Elle n’avait pas envie qu’il perturbe son humeur. Qui était excellente.

Elle était dans la cuisine, elle a contourné le tabouret, celui qui la cogne une fois sur trois. Puis, elle s’est approché du gâteau, celui que l’on a tant fantasmé. Son regard a été attiré par un feuillet jaune, comme un post-it, mais plus long. Il y avait des lignes qui s’enfilaient. L’écriture n’était pas lisible, elle était myope. Ce n’était pas la sienne. Ce n’était pas la mienne non plus.

C’est mon père qui a écrit.

LA FIN, GALOPE !

Crédit photo : Instagram - #gateauchocolat

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