Pérou, Pérou, Pérou, Pérou, Pérou
Père où, Par où, Pair où
Je suis partie. Comme un coup de tête. Coup de fête, risquerons-nous.
Très loin de l’Europe. Celle que je n’ose pas quitter, car d’ordinaire, le lointain m’effraie. Une frayeur, fragile, une qui n’irrite ni les cordes vocales, ni les cris. On dirait une crainte, qui n’a pas de fond et qui ne s’enfonce pas.
L’avion de 12 heures, porte jusqu’à Lima, capitale du Pérou. Future destination des Jeux Olympiques et bain de mélancolie.
Le ciel est blanc, aussi blanc que le cachet d’aspirine avalé par mon tube digestif.
Le ciel est lourd, aussi lourd qu’un fardeau qu’on aurait enveloppé dans un drap.
Le drap flotte au-dessus de mon cerveau, le regard est couvert, la respiration alternée. Je plane.
Je suis pourtant hors de l’avion, ça ne redescend pas. Mon corps est à la renverse. Je suis de l’autre côté de la terre, en hiver.
D’ailleurs, le soleil n’est pas. Lever la tête revient à la baisser : l’asphalte a l’air fier, conquérant. Les rayons du cercle jaune manquent déjà.
Je retrouve le jaune, il est renversé sur les façades, celles qui traversent ma vitre. Il y a des couleurs, elles sont peintes, elles recouvrent ce qui est à submerger. Il y a une maison rouge, cela voudrait-il dire que le propriétaire est passionné ?
On est deux, l’amie d’enfance, que je ne lâcherai pas d’un pas. L’enfance, elle s’est cassée en trois, elle a gambadé. Je suis une adulte, maintenant.
Un taxi nous a récupéré. L’espagnol, nous parlons. On se débrouille, dans le vague. On voit la mer, qui s’agite, encore et toujours. La nuit, s’apaise-t-elle ?
Les gestes libèrent le langage. Entre mimes, et mutisme, les mots se noient dans la buée. L’air est humide. Le cheveu gonfle. Le sébum ne se gêne pas.
L’oxygène est pollué. Je l’aspire et il s’insère dans mes narines. Il y a des asthmatiques, alors il grognent des sonorités. Il y a aussi des respirations aussi rauques que la voix d’un homme. On s’accoutume.
On s’émerveille, le silence a le droit de faire partie de l’ambiance.
Les touristes se ressemblent tous à tousser, et à marcher en randonnée.
Ils arrivent l’attirail au cou, ces gens-là peinent à déambuler. Ils sont chargés, comme s’ils étaient surchargés. Le pire, c’est qu’on leur ressemble. Comme deux gouttes d’eau qui s’éclaboussent. On n’y échappera pas, on fait partie de cette population qui se déplace, le ridicule bien coiffé sur la face.
Peu importe, c’est pratique.
L’apparence ne retient plus notre attention, si vite éprise de ce qui est autour. Aux alentours, des déserts de sel, de terre, de pommes de terre. On observe sans voix. On se prive de nos yeux, pour les ouvrir encore et encore et redécouvrir le beau.
On tombe amoureuses du naturel, aussi pastel que les montagnes arc-en-ciel. On a gravi ces triangles : le souffle court, une feuille de coca au bec, des heures qui pendent.
Arrivées en haut, c’était si bon, comme ce bol de quinoa qu’on brandira comme un insigne national.
Ce pays, c’est la résultante de la fuite du temps. Le temps a passé trop vite : on a pas vu s’échouer les cinq cents dernières années. Les espagnols sont arrivés, des coups de feux en guise de formule de politesse. Ils ont installé l’autorité.
Scélérats jusqu’au bout, ils sont partis avec l’or, et le prosélytisme avait soif de proies.
Aujourd’hui, les historiens parlent de syncrétisme culturel. Ça sonne comme un accord consensuel, un qui ne prend pas une ride. Il n’en est rien.
L’Espagne catholique a blanchi la couleur qui identifiait ce peuple. Elle a matraqué le polythéisme. Jésus était partout. La Vierge aussi. Cloués sur toutes les surfaces murales, ils gardaient un œil. Sur quoi ?
Les Indiens, n’ont pas jugé sage de se révolter. Les armes, elles, ne servaient pas à tuer. L’autre n’a pas vocation à l’élimination, ce n’est pas culturel. Ce n’était pas inscrit dans les gênes. Et pourtant, ils étaient du sang et de ceux que l’on pointait comme « barbares ».
Les péruviens ne se remettent pas de cette occupation, toujours pas. Le Quechua - dialecte vitaminé - est parlé dans les régions lointaines.
Celles que les touristes ne franchissent pas.
On aurait peur d’être dépaysés.
Crédit photo : Altiplano - le film