Vous me donnez le droit d'écrire ?
Apparemment, pour écrire il faut souffrir comme un cri qui ne s’échappe jamais. Qui se répète sauvagement, comme une mélodie qu’on a dans la tête. Il faut être dopé par la folie, celle qui nous rend singulier, autant qu’aliéné. J’ai l’impression d’être saine d’esprit, c’est bien pour ça qu’on me murmure à coup de chuchotements que je ne suis pas légitime. Je n’ai rien à faire ici, pourtant j’écris.
Je ne peux pas écrire, je n’ai pas assez souffert.
Je n’ai pas vécu la guerre, ni l’avant-guerre
Encore moins ces horreurs d’après-guerre
Il n’y avait que la drogue pour s’en sortir
Je n’y ai pas touché non plus
La poudre blanche, n’a pas osé s’attaquer à mes narines
Ni la feuille de cannabis, je n’aime que les marguerites
Un peu, beaucoup, passionnément
Je ne suis pas allée en cure de désintoxication,
Je n’ai pas vécu les camps de concentration,
Encore moins l’extermination
Je n’ai pas perdu mon père
Ni ma mère d’ailleurs
J’ai de la chance, trop de chance pour taper des mots
Pour qu’ils s’impriment dans l’esprit d’un autre
Pour qu’ils soient lus dans le métro ou dans les airs
J’ai un casier judiciaire vierge,
Un carnet de santé qui affiche une parfaite santé
Pas de tentative de suicide, pas de lutte liberticide
Pas de toxines dans mes analyses d’urine
Tout va bien, tout va très bien, trop bien
J’ai trop de chance, et ça me ronge, ça me démange
La culpabilité me mange toute crue
Je crois que je souffre
Pourtant j’ai rien, rien de visible
Rien de flagrant
Rien de proéminent
Bref, tout à écrire.
Crédit photo : écriture - Google Image